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Peinture et Muralisme - Portrait de Matth Velvet


Elles peuvent être monumentales ou sur de petites toiles, redonner vie à la façade d’un bâtiment défraîchi ou s'imprégner de l'atmosphère d'un habitat. Quelque soit le format et l’endroit, les oeuvres du peintre et muraliste Matth Velvet révèlent un imaginaire onirique et coloré, avec pour unité, une réflexion sur nos rapports aux biens matériels et nos interactions humaines.


De la côte vendéenne jusqu’en bords de Garonne, l’artiste peintre, designer industriel de formation, met en scène l’architecture, l’objet et l’humain tels des protagonistes témoins d’une époque tiraillée entre quête de sens, conscience de notre impact environnemental et abondance de ce que l’on produit et consomme. Derrière cette apparente harmonie, la subtilité des symboles et la sensation d'un certain trouble révèlent une palette de traductions possibles. En y regardant de plus près, le trio d'interprètes se croise sans jamais vraiment se rencontrer, les flux énergétiques se dispersent vers des directions opposées et les jolis intérieurs laissent place à une certaine solitude.


Rencontre avec un oeil observateur et sensible qui nous dessine avec une grande dextérité, sa vison poétique d’un monde parfois désenchanté mais toujours contrebalancé par une vive colorimétrie, porteuse d’un espoir, peut-être celui d’un peu plus de minimalisme et d'humanité dans nos vies.





Comment est née votre vocation d’artiste ?


J’ai toujours beaucoup dessiné, c’est depuis la petite enfance un moyen d’expression privilégié pour moi. La pratique du graffiti m’a par la suite permis de réfléchir à l’importance du support, du contexte dans lequel se place une oeuvre, m’a amené à manipuler la couleur et à penser en grand format. J’essayais de faire aussi de mes premiers jobs d’été une première expérience « professionnelle » d’artiste, en vendant des aquarelles de bateaux de pêche sur les marchés nocturnes, là où je vivais, sur la côte vendéenne.


Comment caractériseriez-vous votre oeuvre en quelques mots ?


Je dirais que je cherche à concevoir des scènes à la fois oniriques et pragmatiques, « fictives et effectives ». Fictives car issues d’une narration imaginaire, de projections mentales, effectives car assez terre-à-terre, anodines mais traitées avec une certaine volonté de précision. Un peu à la manière de ces montages photographiques et 3D qu’utilisent les architectes et les designers pour mettre en situation leurs concepts, mais détournées de manière à suivre mes propres thématiques.






Vous avez cheminé du design industriel à la peinture, en quoi votre parcours a-t-il nourri votre travail artistique jusqu’à aujourd’hui ?


En vérité j’ai longtemps pratiqué les deux activités en parallèle, j’aimais pouvoir naviguer entre ces deux métiers, mais cela ne m’est plus possible aujourd’hui, et j’ai fini par être trop questionné par l’impact environnemental lié à la production industrielle.

Les objets manufacturés, les constructions, continuent cependant d’occuper une place centrale dans mon travail. Ces éléments y sont souvent plus expressifs que les personnages représentés, que je vois d’une certaine manière comme des objets eux-aussi.

De manière générale, je vois notre environnement matériel comme un excellent révélateur de nos travers et excès.

La conceptions d’objets et de produits m’a surtout permis de comprendre qu’il ne faut pas compter sur l’inspiration pour construire une démarche, qu’il s’agit de définir une méthode. Et pour cela, il faut explorer un maximum de moyens, d’axes de travail, pour trouver la piste qui s’avèrera répondre au mieux à ce que l’on souhaite exprimer.







La lumière et les couleurs chaudes jouent un rôle important dans vos œuvres et maintiennent une unité. Avec quels matériaux travaillez-vous principalement et pour quelles intentions voulues ?

Je travaille avec tous types de peinture, acryliques et huiles, globalement avec un nombre assez réduit de teintes, toutes vives, je préfère les mélanger pour arriver à les rendre moins saturées plutôt que de passer par une base déjà désaturée.

Je suis toujours à la recherche de contrastes harmonieux, permettant d’accepter des couleurs très éloignées du réel, offrant une représentation sensible de ce que j’ai observé et retranscris. C’est là pour moi un enjeu majeur de la peinture. J’essaye d’aborder la couleur comme le moyen d’apporter un aspect dramatique, lyrique, à des scènes qui sont assez quelconques. Les lueurs dans la pénombre, les lumières rasantes, du matin et du soir, ou celles d’un ciel d’orage, sont un bon moyen d’y parvenir.

Tout simplement c’est lorsque ce type de lumière se présente à l’extérieur que je préfère me promener, observer, photographier.





Les scènes de vie du quotidien illustrées mêlent réalisme et onirisme. Le cadrage quant à lui, reflète un lien fort avec la photographie. De quelle manière ce médium guide t’il votre travail ?


Il est très rare que je me déplace sans appareil photo, c’est un moyen de prises de notes visuelles qui m’est indispensable. Et le téléphone ne le remplace pas , car trop limité en termes de focales, et il ne m’offre pas le plaisir de regarder dans le viseur et de déclencher.

Je construis ainsi depuis des années un grand catalogue d’objets, de constructions, d’humains, d’éléments naturels etc. Que je réemploie dans mes peintures.


L’architecture, l’objet et l’humain cohabitent étroitement dans vos peintures, laissant apparaitre des instants suspendus, des réflexions et des symboles où chacun peut y trouver ses réponses. Quels messages essayez-vous de transmettre à travers vos oeuvres ?


Les personnages dans mes peintures sont un peu comme « errants » au beau milieu de leur environnement matériel, je ne sais pas si je souhaite faire passer un message, mais il est sûr que ces peintures sont pour moi l’occasion de réflexions autour d’une certaine quête de sens, parasitée par la masse de ce que l’on produit et consomme.





Quelles sont vos inspirations artistiques, vos influences ?


Elles se trouvent de plus en plus dans des peintures de la fin du 19e siècle ou début 20e, comme les nabis, les fauves. Dans la manière d’aborder les sujets, je me sens proche de la figuration narrative également.


Vous avez commencé par des peintures monumentales dans l’espace public, puis vous avez diversifié votre pratique vers la peinture sur toile en atelier. Expliquez-nous cette évolution dans votre travail et l’influence de l’une et l’autre sur votre pratique ?


Le graffiti a fait de moi un peintre de murs avant tout, les sujets figuratifs qui juxtaposaient les lettres s’y sont mélangés, puis ont fini par s’y substituer et par prendre de l’envergure au fur et à mesure des projets. Travailler en grand et dans l’espace public permet une lecture différente d’une image qui serait anecdotique si elle était présentée en petit et sur un mur blanc. J’ai plus d’aisance à travailler en grand, et c’est pour moi un certain 'challenge' non résolu que d’arriver à restituer la vivacité (tant au niveau visuel que cognitif) d’une peinture à grande échelle sur des formats plus petits. Cette quête guide mon travail aujourd’hui.



La Roche-sur-Yon, France © Matthieu Pommier


Bordeaux, France © Matthieu Pommier


Dans le cadre de votre résidence actuelle au sein de la pépinière L’annexe b, vous avez participé au projet « l’annexothèque », dispositif de prêt d’oeuvres destiné aux particuliers et aux habitants du quartier du Grand Parc à Bordeaux. Pouvez-vous nous expliquer votre démarche dans ce projet et l’interaction qui a pu se créer avec le public ?


N’ayant pas de tableaux à prêter, j’ai trouvé plus judicieux de proposer des peintures, format petit tableau, et réalisées à même les murs des habitants du quartier (Grand Parc à Bordeaux), à titre gratuit. Cela me permet justement d’expérimenter des manière de peindre en petit très rapidement, puisque je reste environ deux heures chez la personne. Ce sont en quelques sortes des études in situ. J’y vois un certain pont avec les petites interventions de rue que j’ai pu faire par le passé. Mon travail d’atelier étant de plus en plus prégnant, j’y vois une transition logique de l’extérieur vers l’intérieur, tout en continuant de proposer des travaux gratuits. Il me semble important pour un artiste, au-delà des voyages et expositions loin de chez lui, d’avoir un rôle de proximité, que sa présence influe sur son environnement direct. Dans le cadre de ce projet je choisis des images simples, qui me semble entrer en résonance avec le lieu de vie des personnes chez qui je me rends. Le projet n’en est qu’à son commencement. J’aimerais multiplier ces interventions pour dresser une sorte de « portrait du quartier » en documentant les intérieurs et leur agencement, des personnalités diverses … La peinture est ici presque un prétexte, l’important réside dans les rencontres créées, le moment d’échange pendant la réalisation, et la surprise d’une nouvelle image qui va vivre avec les participants aussi longtemps qu’ils décident de la conserver, ou de déménager. Cette démarche s’inscrit dans un temps relativement long, c’est un fil rouge que je souhaite mener en parallèle de la préparation d’expositions et autres projets. J’espère qu’elle aboutira, sans vraiment savoir quelle en sera la finalité.



Quartier du Grand Parc, Bordeaux, France © Matthieu Pommier


Vous avez participé à des projets éphémères et pérennes dans différentes villes du monde . Selon vous, en quoi l’art dans l’espace public permet t’il de créer de nouvelles synergies ?


J’essaye de ne pas arriver avec un plan définitif de ce que je vais réaliser dans ce cas de figure. Il m’importe de prendre quelques heures ou quelques jours pour arpenter les lieux, rencontrer des personnes, dessiner sur place. Le résultat doit être la synthèse de ce qui a été ressenti à mon arrivée, l’instantané d’une rencontre entre un artiste, une position géographique et ceux qui y vivent.

J’aime aussi que le résultat puisse être interprété par les habitants, qu’il n’y ai pas un message trop évident. Les réactions suscitées ne sont bien évidemment pas toujours positives, mais l’important est qu’un dialogue, voire un débat se crée, autour d’une oeuvre et de l’espace visuel qu’elle occupe.



Cité Frugès - Le Corbusier, Pessac, France © Matthieu Pommier


Bordeaux, France © Matthieu Pommier


Quels sont vos projets à venir ?


Je travaille actuellement sur plusieurs interventions privées et publiques en France, à la réalisation de sérigraphies et autres tirages imprimés (domaine que j’ai peu exploré jusqu’ici) et j'amorce la préparation d’une exposition qui ouvrira ses portes à la galerie Le Feuvre et Roze à Paris fin 2023.




Photos © Matth Velvet et Elise Beltramini

Propos recueillis par Elise Beltramini

 


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