Illustration et Bande dessinée - Juli Delporte
- elisebeltramini

- 27 sept.
- 4 min de lecture
Dernière mise à jour : 29 sept.
Alors que je découvre le joyeux accrochage des expositions à l’Espace Saint-Rémi à Bordeaux, imaginé par la team des gribouillistes, petites mains affairées à la confection de la 5ᵉ édition du Festival Gribouillis, mon regard est attiré par une illustration fixée sur la tranche d’une cloison : un enfant endormi, un chien à ses côtés, et, tout près d’eux, le rouge tendre d’un bol rempli de fraises.
Il s’agissait de Sam et Léontine, personnages que je découvrirai ensuite dans Grandes Oreilles, le nouveau livre jeunesse de Juli Delporte, illustratrice et autrice de bandes dessinées, qui a quitté ses terres bretonnes pour rejoindre Montréal il y a maintenant vingt ans.
Au fil des planches de l'exposition Une intimité en partage, issues de ses différents ouvrages, je découvre un univers doux et coloré, où se dessinent des questionnements profonds et parfois graves.
L’été dernier, Juli a passé une première résidence d’écriture au Chalet Mauriac, à Saint-Symphorien, pour travailler sur Grandes Oreilles. Elle y est d’ailleurs de retour jusqu’au 10 octobre 2025.
Entre deux dédicaces, au salon du livre accueilli au Garage Moderne, une séance de jeu improvisée entre Snoop et Coco, nos toutous respectifs, a donné lieu à un échange spontané, reflet de l’humilité qui caractérise Juli et son parcours.

Peux-tu nous parler de ton parcours et de ce qui t’a conduite à devenir illustratrice et autrice de bandes dessinées ?
Mon parcours vient plutôt de l’écriture. J’ai fait des études en littérature et en journalisme, et quand j’étais petite, je rêvais surtout d’écrire des romans. Pendant mes études de journalisme, j’ai été un peu déçue, je voulais une démarche plus documentaire, aller au fond des choses, rencontrer des gens sur du long terme, plutôt que ce que l’on nous apprenait, c’était écrire vite des nouvelles.
Je cherchais donc quelque chose de plus artistique et documentaire. J’ai toujours beaucoup lu de bande dessinée, parce que j’ai des problèmes de concentration, avec les images, je peux continuer à lire même quand je suis fatiguée. J’ai lu tout ce que je pouvais trouver qui stimulait un peu mon intellect, puis j’ai suivi des ateliers de bande dessinée. Comme j’en avais déjà beaucoup lu, je connaissais un peu le langage, donc j’ai très vite fait des autopublications, puis progressivement un parcours plus professionnel.
Comment as-tu découvert la scène montréalaise de la bande dessinée ?
La scène de bande dessinée à Montréal était plutôt petite et accessible. Il y a un événement, ExpoZine, où les auteur·rice·s se retrouvent pour vendre leurs autopublications et fanzines, et c’est là que j’ai commencé à créer des liens. Dans les ateliers de bande dessinée que je suivais, il y avait plein d’autres auteur·rice·s, comme Sophie Bédard et même mon éditeur actuel, Luc Bossé, des éditions Pow Pow, que j’ai rencontré dans ces ateliers.
Ensuite, on a eu un atelier collectif avec des micro-éditions, comme Colosse, éditées par Jimmy Beaulieu. C’est là que j’ai fait mes premières petites publications. J’avais aussi une émission de radio où j’invitais des auteur·rice·s et que je commentais des bandes dessinées, cela m’a permis de connaître la communauté en profondeur. J’ai arrêté l’émission quand j’ai commencé à écrire davantage, parce que critiquer les œuvres était difficile quand on est soi-même en train d’apprendre et produire.
Ton travail est actuellement exposé à l’Espace Saint-Rémi à Bordeaux, dans le cadre du Festival Gribouillis. Peux-tu nous parler de cette exposition ?
Cette exposition est très belle. Gribouillis a fait un travail incroyable de mise en espace, et Lucie Servin a assuré le commissariat et l’écriture des textes. Ça fait beaucoup de bien de voir mon travail présenté avec autant de soin.
Pour la sélection, Sarah Vuillermoz, la directrice du Festival Gribouillis, est venue à Montréal, et nous avons passé une journée à passer en revue tous mes dessins. Elle est repartie avec un paquet de dessins, de céramiques et de documents.
Tes livres sont très personnels et abordent des sujets comme la santé mentale, le féminisme ou le rapport au corps. Peux-tu nous en dire plus ?
Oui, mes livres sont souvent autobiographiques, ce sont des journaux de réflexion sur la vie quotidienne. Depuis Moi aussi, je voulais l’emporter, j’aborde le féminisme, et progressivement les questions queer et le rapport au corps. Cela inclut aussi la survivance d’agressions sexuelles dans l’enfance : ce n’est jamais le sujet principal, mais je ne veux jamais évacuer cette dimension. Ces expériences font partie de l’identité des personnages et traversent mes albums, toujours présentes, même si elles ne sont pas explicitement nommées. J’aborde également la notion de guérison dans ce contexte.
Parle-nous de ton nouveau livre jeunesse Grandes Oreilles. Peux-tu nous expliquer l’histoire et ce que tu as voulu transmettre à travers ce lien entre un enfant et son chien ?
Grandes Oreilles est un pas de côté, un livre pour enfants de 3-6 ans, mais qui peut parler aux adultes aussi. L’histoire raconte le lien entre un enfant, Sam, et son chien, Léontine. Quand Sam s’absente, Léontine se retrouve seule et ne sait plus quoi faire de ses grandes oreilles, qu’elle utilisait pour réchauffer Sam. C’est une réflexion sur l’attention, le soin, le vide et l’amour, avec une lecture à deux niveaux : l’enfant et l’adulte qui lit avec lui.
Faire un livre jeunesse n’est pas simple : il faut que les personnages soient reconnaissables de page en page, que l’espace soit bien utilisé. J’ai voulu quelque chose de tendre, après mes livres précédents qui abordaient le traumatisme. Les illustrations présentées sont des extraits de mes livres, parfois en lien avec mes lectures ou mes inspirations. Pour les décors, je me suis inspirée d'un lieu que j'aime beaucoup, une maison sur une île dans le fleuve Saint-Laurent au Québec.
Pour les projets futurs, je réfléchis à un nouveau livre, dans la continuité de mes ouvrages pour adultes. Depuis Grandes Oreilles, j’ai adopté une petite chienne, Snoop, qui est mon chien d’assistance pour l’anxiété. J’aimerais écrire sur notre relation, complexe et mutuellement anxieuse. Je n’ai pas encore trouvé la forme du livre, mais ces thèmes : soin, anxiété et lien humain-animal seront au centre.
Propos recueillis et photographies par Élise Beltramini
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